vendredi 13 janvier 2017

L'Enfant-phoque (Nikolaus Heidelbach)

L’Enfant-phoque
Texte et illustration de Nikolaus HEIDELBACH
Ed. Les Grandes Personnes 

Les phoques viennent parfois sur terre et ôtent leur peau pour devenir des humains ; celle-ci devient alors leur plus grand trésor car ils pourront un jour la revêtir derechef pour retourner à la mer lorsqu’ils en auront assez d’être humain.
Un petit garçon,  fils de pêcheur, habite au bord de la mer avec ses parents. Son plaisir est d’aller nager et d’écouter le soir sa mère lui raconter les légendes de la mer et de rêver aux créatures merveilleuses dont elle regorge.
Un jour, suite à une longue discussion avec sa mère, son père ramène une peau de phoque et la cache dans le canapé. Le petit garçon la découvre et croit d’abord que son père est un phoque devenu humain. Mais quand sa mère disparaît, il comprend que c’est  en fait sa mère qui a rejoint l’océan et  qu’elle ne reviendra jamais.
L’enfant reste donc seul avec son père ; quand il sera grand, il sera marin à son tour, ou phoque.


L’ouvrage de Nikolaus Heidelbach est une très belle réussite, alliant une forte identité visuelle à une histoire poétique et profonde, recelant plusieurs couches de sens.
L’illustration, effectuée à partir d’aquarelles, se caractérise par un trait sobre, économe en effets et très réaliste. Cette sobriété renforcée par des coloris doux se marie avec une mise en page ludique et un foisonnement créatif, l’auteur prenant un évident plaisir à représenter toutes les créatures énumérées par la mère du petit garçon rêveur. L’accumulation verbale engendre l’accumulation visuelle dans l’océan de l’imagination. C’est la première métaphore du livre.
Le lecteur curieux cherchera sans doute à comprendre le sens de l’étrange histoire qui lui est racontée. Deux pistes d’analyse peuvent être esquissées, celle de la rupture du couple et celle de l’expérience du deuil.
Le mari travaille, reste plusieurs jours en mer et apporte l’argent et la nourriture, tandis que la femme reste au foyer, s’occupe de la maison et de l’enfant. Si l’on accepte l’idée que la peau du phoque symbolise l’identité et l’océan la liberté, on peut lire l’histoire de l’enfant-phoque comme une allégorie expliquant le départ d’une femme effacée ressentant le besoin de s’épanouir et de vivre sa propre vie. Le fait que le départ de la mère suive une longue discussion parentale corrobore cette analyse. Le père amène la peau de phoque et l’enfant, incidemment, révèle l’emplacement de celle-ci à sa mère, montrant l’acceptation de la décision maternelle.
Il est possible de lire aussi l’ouvrage de Nikolaus Heidelbach comme une allégorie sur le deuil, l’océan pouvant faire aussi figure de cimetière, comme l’ont en leur temps imaginé Paul Valéry et George Brassens. La peau de phoque devient alors un suaire que revêt la mère pour aller dans l’outre-monde, qui se situe précisément dans l’imaginaire. Le conte retrouve alors ses origines mythiques.
On le voit, la simplicité  poétique de L’Enfant-phoque cache de nombreuses strates de sens comme le reflet de l’eau cache tout un océan. Évocation et célébration de l’imaginaire enfantin, allégorie sur l’acceptation de la séparation, œuvre métaphorique sur la perte et le deuil, l’ouvrage de Nikolaus Heidelbach peut  être tout cela à la fois, pour qui accepte de rentrer dans son univers et de l’habiter l’espace de quelques pages.


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